Le législateur a souhaité créer des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence telles que visées à l’article L.442-6 du Code de commerce.
Pour ce faire, un décret n°2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence a désigné, en première instance, huit Tribunaux de commerce et Tribunaux mixtes de commerce (art.D.442-3 du Code de commerce [1]) et huit Tribunaux de Grande Instance (art.D.442-4 du Code de commerce [2]), et, en cause d’appel, la seule Cour d’appel de PARIS, pour connaître à titre exclusif des litiges mettant en cause les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce.
- Entrée en vigueur du décret n°2009-1384 du 11 novembre 2009
Les dispositions du décret du 11 novembre 2009 sont applicables aux instances introduites à compter du 1er décembre 2009 (Com., 24 septembre 2013, n°12-24538).
- Clause compromissoire
La clause compromissoire fait échec au pouvoir juridictionnel exclusif instauré par le décret du 11 novembre 2009 (principe compétence-compétence, Com., 1 mars 2017, n°15-22675).
- Clause attributive de juridiction
La clause attributive de juridiction ne trouve pas à s’appliquer en cas de litige mettant en jeu l’article L.442-6 du Code de commerce (Com., 1 mars 2017, n°15-22675 ; Com., 11 mai 2017, n°15-21913), sauf attribution du litige à une juridiction étrangère (Com., 18 janvier 2017, n°15-26105).
- Instances fondées sur l’article 145 du Code de procédure civile
La Cour de cassation juge que seules les juridictions spécialisées sont compétentes pour connaître des demandes relatives aux mesures d’instruction, dites in futurum, visées à l’article 145 du Code de procédure civile (Com., 17 janvier 2018, n°17-10360).
- Appels interjetés contre les jugements rendus par des juridictions non spécialisées
- Les textes
L’article D.442-3 du Code de commerce prévoit que « Pour l’application de l’article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d’outre-mer sont fixés conformément au tableau de l’annexe 4-2-1 du présent livre.
La cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris. »[3]
- La solution antérieure
Auparavant, la Cour de cassation, interprétant largement les termes « ces juridictions », jugeait que tout appel interjeté à l’encontre d’un jugement rendu par une juridiction, quelle qu’elle soit, spécialisée ou non, devait être interjeté, à compter du 1er décembre 2009, devant la Cour d’appel de PARIS. Il s’agissait d’une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel pour connaître des litiges relevant de l’article L.442-6 du Code de commerce devant être relevée d’office (Com., 31 mars 2015, n°14-10016) et rendant l’appel irrecevable pour le tout sauf disjonction possible (Com., 24 septembre 2013, n°12-21089 ; Cf a contrario, Com, 6 septembre 2016, n°14-27085 et 15-15328).
Paradoxalement, pareille solution conduisait à maintenir dans l’ordre juridique des décisions de première instance rendues par des juridictions non spécialisées dont appel avait été interjeté devant une Cour d’appel autre que celle de PARIS. En outre, les Parties étaient privées d’un double degré de juridiction puisque, au jour où leur appel était déclaré irrecevable, le délai d’appel était très souvent expiré et la décision entreprise devenait définitive.
- Revirement de jurisprudence
Revenant sur cette position, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par trois arrêts en date du 29 mars 2017. La Haute Juridiction procède désormais à une interprétation plus littérale des alinéas 2 des articles D.442-3 et D.442-4 du Code de commerce, se fondant tant sur des considérations de sécurité juridique que sur la volonté du législateur :
« Attendu qu’à l’instar de ce que retient, en application de l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation lorsqu’un appel est formé devant une cour d’appel dans le ressort de laquelle ne se trouve pas la juridiction ayant rendu la décision attaquée (2e Civ, 9 juillet 2009, n° 06-46.220, Bull II, n° 186 et 15 octobre 2015, n° 14-20.165), la chambre commerciale, financière et économique de cette Cour juge, depuis plusieurs années, que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif est sanctionnée par une fin de non-recevoir, de sorte qu’est irrecevable l’appel formé devant une autre cour d’appel (Com. 24 septembre 2013, n° 12-21.089, Bull.IV,n°138), et que cette fin de non-recevoir doit être relevée d’office (Com. 31 mars 2015, n° 14-10.016, Bull IV, n° 59) ; que cette règle a été appliquée à toutes les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’article L. 442-6 du code de commerce, même lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialement désignées ; Attendu que cette dernière solution est source, pour les parties, d’insécurité juridique quant à la détermination de la cour d’appel pouvant connaître de leur recours, eu égard aux termes mêmes de l’article D. 442-3 du code de commerce ; qu’elle conduit en outre au maintien de décisions rendues par des juridictions non spécialisées, les recours formés devant les autres cours d’appel que celle de Paris étant déclarés irrecevables, en l’état de cette jurisprudence ; Attendu qu’il apparaît donc nécessaire d’amender cette jurisprudence, tout en préservant l’objectif du législateur de confier l’examen des litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce à des juridictions spécialisées ; qu’il convient, pour y parvenir, de retenir qu’en application des articles L. 442-6, III, et D. 442-3 du code de commerce, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par le second texte ; qu’il en est ainsi même dans l’hypothèse où celles-ci auront, à tort, statué sur l’application du premier, auquel cas elles devront relever, d’office, l’excès de pouvoir commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu’elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables ; Attendu qu’en l’espèce, après avoir constaté que la société Fascom demandait, sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5°, du code de commerce et 1382 du code civil, la condamnation in solidum des sociétés Usinière et Phoenix au paiement de dommages-intérêts, l’arrêt déclare l’appel irrecevable ; Qu’en statuant ainsi, alors que, saisie de l’appel d’un jugement rendu par le tribunal de Saint-Denis de La Réunion, juridiction non spécialement désignée située dans son ressort, il lui appartenait de déclarer l’appel recevable et d’examiner la recevabilité des demandes formées devant ce tribunal puis, le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Com., 29 mars 2017, n°15-17659 ; Cf également n°15-24241 et 15-15337; Revirement confirmé depuis : Com., 11 mai 2017, n°16-10738 et 17 janvier 2018, n°17-10360)
Ainsi, en cas de jugement rendu par une juridiction de premier degré non spécialement désignée ayant statué à tort sur le fondement des dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce, la Cour d’appel appelée à en connaître est celle dans le ressort de laquelle se trouve ladite juridiction de premier degré non spécialement désignée.
La Cour d’appel de PARIS est désormais appelée à ne connaître que des appels interjetés à l’encontre des jugements rendus par les juridictions de premier degré spécialement désignées ou situées dans son ressort.
La méthodologie adoptée dorénavant par la Cour de cassation est donc la suivante :
- Recevabilité de l’appel interjeté devant la Cour d’appel dans le ressort de laquelle se situe la juridiction de premier degré non spécialement désignée ayant statué sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce ;
- Examen de la recevabilité des prétentions des Parties ; irrecevabilité des prétentions de première instance fondées sur l’article L.442-6 du Code de commerce (excès de pouvoir de la juridiction de premier degré non spécialement désignée) ;
- Examen, au fond, des prétentions non fondées sur l’article L.442-6 du Code de commerce, dans la limite du pouvoir juridictionnel de la Cour d’appel saisie.
La présente solution est applicable à la procédure de contredit (Com., 26 avril 2017, n°15-26780).
- Application dans le temps du revirement de la Cour de cassation
La Cour de cassation a précisé que le revirement opéré par les trois arrêts du 29 mars 2017 pouvait faire l’objet d’une modulation de ses effets dans le temps.
« Que l’application, à la présente instance, de la règle issue du revirement de jurisprudence [du 29 mars 2017], qui conduirait à retenir l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Paris, aboutirait à priver la société Best, qui ne pouvait ni connaître, ni prévoir, à la date à laquelle elle a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel de Paris, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la censure de l’arrêt n’est, dès lors, pas encourue ; que le moyen ne peut être accueilli » (Com., 21 mars 2018, n°16-28412)
Une telle modulation devrait être appréciée in concreto, selon les faits de chaque espèce.
- Conséquences du recours à la notion de fin de non-recevoir
L’irrecevabilité découlant de la fin de non-recevoir issue des alinéas 2 des articles D.442-3 et D.442-4 du Code de commerce ne permet pas aux juridictions saisies à tort de renvoyer le litige à la juridiction normalement appelée à en connaître, à rebours du régime prévu par le Code de procédure civile en matière d’exception d’incompétence (art. 81 alinéa 2 du Code de procédure civile).
En outre, la fin de non-recevoir n’interrompt pas la prescription (Com., 26 janvier 2016, n°14-17952), contrairement, là encore, à la saisine d’une juridiction incompétente (art.2241 alinéa 2 du Code civil).
En conséquence, il convient de prendre garde aux plaideurs mal intentionnés qui invoqueraient les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce de mauvaise foi, à des fins dilatoires ou de façon peu sérieuse.
C’est une des raisons pour lesquelles certains auteurs se sont montrés hostiles au recours à la qualification de fin de non-recevoir, préférant y voir une exception d’incompétence.
[1] renvoyant à l‘Annexe 4-2-1 du Code de commerce : MARSEILLE, BORDEAUX, TOURCOING, FORT-DE-FRANCE, LYON, NANCY, PARIS, RENNES.
[2] renvoyant à l‘Annexe 4-2-2 du Code de commerce : MARSEILLE, BORDEAUX, LILLE, FORT-DE-FRANCE, LYON, NANCY, PARIS, RENNES.
[3] L’article D.442-4 du Code de commerce prévoit des dispositions similaires pour les Tribunaux de Grande Instance.