Une société n’acquiert la personnalité juridique qu’à compter de son immatriculation[1].

Toutefois, pour des considérations pratiques bien évidentes, certains actes juridiques doivent être passés sans attendre l’immatriculation : contrat de bail ou de domiciliation, ouverture d’un compte bancaire, contrat d’assurance…

Quid de ces actes conclus pour le compte d’une société qui n’a pas encore la personnalité juridique ?

Un point à date !

Principe

L’acte conclu par une partie dépourvue de personnalité juridique est nul (il est censé n’avoir jamais existé[2]). Il s’agit d’un cas de nullité absolue[3]. L’acte n’est donc susceptible ni de confirmation ni de ratification, cette irrégularité ne pouvant être couverte par des actes d’exécution[4] ou, de manière générale, par un acte unilatéral, exprès ou tacite[5], postérieurs à l’immatriculation. En somme, l’acte ne peut être sauvé[6].

Afin d’éviter une telle situation, les textes ont prévu, dans des conditions bien précises, un mécanisme propre aux sociétés en formation.

Conditions de la reprise des actes

L’article 1843 du code civil prévoit ainsi que « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci. »[7].

Il en résulte que :

  • L’acte doit être conclu, avant immatriculation[8], par une personne ayant pouvoir à cet effet, au nom et/ou pour le compte de la société, en formation. L’acte n’est donc conclu ni à titre personnel par la personne ayant pouvoir ni par la société elle-même. A défaut, aucune reprise n’est possible[9].
  • La personne ayant agi au nom et/ou pour le compte de la société en formation est, à ce stade, seule engagée par cet acte.
  • Une fois immatriculée, la société peut reprendre l’acte selon les procédures limitativement prévues[10].
  • En cas de reprise en bonne et due forme, l’acte est alors considéré comme ayant été conclu dès l’origine par la société elle-même[11]. Corrélativement, les personnes ayant agi, avant immatriculation, au nom et/ou pour le compte de la société, sont entièrement libérées à l’égard du cocontractant[12].
  • A l’inverse, à défaut de reprise de l’acte, ce dernier reste à la charge personnelle de celui ou de ceux qui l’ont accompli ou qui ont donné mandat pour l’accomplir[13].

 

Traditionnellement, ces conditions étaient appliquées strictement. Particulièrement, il importait au moment de la conclusion d’un acte pour le compte et/ou au nom d’une société en formation de prêter une attention particulière à la comparution des parties, c’est-à-dire à l’exposé précis de l’identité des parties contractantes. A défaut, aucune maladresse de rédaction ne pouvait être invoquée[14].

Rappel de la jurisprudence antérieure

Antérieurement, la Cour de cassation, en sa chambre commerciale, avait rappelé, dans un arrêt en date du 10 février 2021, que les contrats conclus par une société « en cours d’immatriculation » et « représentée par son gérant » l’avaient été par la société elle-même, seule partie au contrat, à l’exclusion de son représentant qui aurait agi pour le compte de la société en sa qualité d’associé ou de gérant. Elle précisait que la mention « en cours d’immatriculation » ne modifiait en rien l’indication de la société elle-même comme partie contractante.

Or, au jour de la conclusion desdits contrats, la société n’était pas encore immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés et était donc dépourvue de personnalité juridique. Les contrats étaient donc nuls. En conséquence, le représentant de la société ne pouvait être engagé à titre personnel[15].

Ainsi, les actes passés avant immatriculation devaient l’être expressément par une personne ayant reçu pouvoir à cet effet au nom et/ou pour le compte de la société en formation pour que, d’une part, la personne les ayant passés soit tenue personnellement par ces actes (à défaut de reprise par la société), et, d’autre part, la société puisse les reprendre valablement.

Pareille solution reposait « sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vis[ait] à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d’une mention expresse selon laquelle l’acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation protège, d’un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l’autre, la personne qui accomplit l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits »[16].

Exemples d’application de la jurisprudence antérieure

A titre d’exemples, en application de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, ont été censurées les formulations suivantes :

  • Ouverture d’un compte courant commercial par Monsieur X « à titre provisoire en attendant la création d’une société». Le compte bancaire a été jugé ouvert par Monsieur X seulement, ce dernier étant condamné, en conséquence, au paiement du solde débiteur du compte[17].
  • Cession de créances conclue par la société « représentée par» les personnes mandatées à cet effet. La cession a été jugée privée de tout effet[18].
  • Contrat d’architecte conclu par une société « en cours d’enregistrement» représentée par son associé. La mention a été jugée en elle-même insuffisante pour établir que contrat avait été conclu par une personne ayant agi au nom de la société en formation et non par cette société elle-même, préalablement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés[19].
  • Bail commercial conclu par la société W [non encore immatriculée au jour du bail] représentée par X, Y et Z. La formulation a été jugée comme démontrant que le bail a été conclu par la société elle-même, peu important qu’il ait été mentionné que celle-ci était en cours d’immatriculation, et non par les trois personnes agissant pour son compte, qui, dès lors, ne pouvaient être tenues des obligations résultant du contrat de bail[20].
  • Bail commercial conclu par X, Y et X « avec la faculté de leur substituer la société [W] en formation». Le contrat a été jugé comme conclu, non pas au nom et pour le compte de la société en formation, mais aux noms de X, Y et Z avec une simple faculté de substitution[21].
  • Prêt consenti à la société X « en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par Mme Y », sans que l’avenant à ce contrat de prêt, qui, selon ses propres termes, n’emportait pas novation, ne soit de nature à couvrir la nullité absolue encourue[22].
 
Revirement de jurisprudence

Face à l’excès de formalisme et au pointillisme de certains contractants[23], la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence.

Aux termes de trois arrêts en date du 29 novembre 2023[24], à la motivation enrichie, la Chambre commerciale juge désormais que le juge dispose de la faculté d’apprécier souverainement la commune intention des parties et de dépasser ainsi l’insuffisance du formalisme autrefois requis.

Plus précisément, la Cour de cassation estime que « l’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits ».

En l’espèce, il s’agissait, pour le premier arrêt, d’un bail commercial consenti en la forme authentique à une société en formation et précisant que la société est « en cours d’identification au SIREN » , que « la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce et de celles du décret 67-236 du 23 mars 1967 » et que « la société dénommée […] est représentée à l’acte par ses seuls futurs associés »[25].

Le deuxième arrêt a également été rendu à propos d’un bail commercial conclu avec une société par actions simplifiée « en cours de formation »[26].

Dans ces deux premiers cas, la Cour de cassation reproche au juges du fond de ne pas avoir recherché s’il résultait ou non de l’ensemble des circonstances et notamment des mentions de l’acte que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était que l’acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation[27].

Quant au troisième arrêt, il s’agissait d’une promesse de cession de parts sociales par acte sous seing privé signé par le futur dirigeant en qualité de gérant de la société en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés. A l’inverse, ici, la Cour de cassation relève que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui a fait ressortir que, en dépit de la rédaction impropre de ces actes quant à la désignation du cessionnaire, la commune intention des parties était que l’acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits, a ordonné l’exécution de la promesse litigieuse ». Motifs pris de ce qu’il résulte des correspondances produites, dont la teneur n’est pas contestée, que le contractant a été clairement informé, avant la signature de l’acte et de son avenant, que le futur dirigeant agissait pour le compte d’une société en formation[28].

Exemples d’application du revirement de jurisprudence
  • Lettre de mission aux fins de réaliser une étude en vue d’une création d’entreprise signée par les associés dont le futur dirigeant de la société qui n’avait alors pas d’existence juridique. Les juges du fond ont retenu que le futur dirigeant avait la capacité de contracter au nom et pour le compte de la société ; qu’il s’est engagé dans le seul intérêt de celle-ci ; que ce même futur dirigeant a incité son cocontractant à remplacer son nom par celui de la société sur la facture litigieuse et que son intention était de régler cette facture par le déblocage des prêts bancaires. La Cour de cassation juge que les juges du fond n’ont pas constaté que le futur dirigeant avait, en signant ladite lettre de mission, agi au nom ou pour le compte de la société en formation, qui le contestait d’ailleurs[29].
  • Promesse de vente, par acte authentique, de parcelles de terrain à bâtir situés sur une localité donné pour un prix fixé ; statuts de la société en formation prévoyant que l’associé unique ferait l’acquisition, pour le compte de la société en formation, de biens sis sur la localité visée par la promesse et moyennant le prix fixé par la promesse. La Cour de cassation juge que les juges du fond ont statué par des motifs inopérants et sans caractériser si l’intention commune des parties à la vente n’avait pas été que celle-ci fût conclue au nom ou pour le compte de la société en formation[30].
  • Contrat de sous-location conclu par une société « en cours d’immatriculation représentée par son « gérant dûment habilité aux fins des présentes ». La Cour de cassation juge qu’il résulte des constatations et appréciations de l’arrêt d’appel que la commune intention des parties au contrat litigieux était que celui-ci fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation. En l’espèce, était joint au contrat de sous-location un acte constitutif de la société, au terme duquel, d’une part, le représentant apparaît comme premier gérant désigné, d’autre part, est visé en annexe « un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, à savoir l’ouverture d’un compte bancaire et la signature d’un contrat pour le siège social », lequel figure sur l’en-tête du contrat de sous-location comme étant l’adresse des locaux pris à bail. Pour la Cour de cassation, l’arrêt pouvait donc retenir que, dès lors que le siège de la société devait s’établir à l’adresse des locaux pris à bail, la signature du contrat litigieux par le gérant désigné au terme de l’acte constitutif s’analyse comme un acte préparatoire d’une société en cours de formation et en déduire que ce contrat est valable[31].

 

Le revirement vaut pour toutes les modalités de reprise[32].

 

Assouplissement du formalisme donc, mais pas affaiblissement de la sécurité juridique pour autant. Bien au contraire ?

 

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[1] Article 1842 du code civil ; immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés pour les sociétés commerciales (Article L.210-6 du code de commerce)

[2] Articles 1178 et suivants du code civil

[3] Puisqu’il ne s’agit pas d’un cas d’incapacité de contracter mais plutôt d’un cas d’inexistence juridique de la partie au contrat : Com., 21/02/2012, n°10-27630 et Civ.3ème, 05/10/2011, n°09-70571 et 09-72855

[4] Com., 21/02/2012, n°10-27630

[5] Civ.3ème, 05/10/2011, n°09-70571 et 09-72855

[6] Sauf à ce que la nullité ne soit pas soulevée.

[7] Article L.210-6 du code de commerce pour les sociétés commerciales

[8] Com.,21/09/2004, n°03-13196

[9] Civ.3ème, 05/10/2011, n°09-70571 et 09-72855 ; Com., 11/06/2013, n°11-27356, confirmé dans la même affaire par Com., 13/09/2017, n°15-26491 ; Cf également Com., 15/05/2012, n°11-16069

[10] Article 6 du Décret n°78-704 du 3 juillet 1978 relatif à l’application de la loi n°78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil et articles R.210-5 et suivants du code de commerce : Com., 13/12/2011, n°11-10699. Pour un exemple de non-reprise des actes, faute d’avoir respecté ces procédures : Com., 26/04/1988, n°87-11051 et 11/01/2005, n°01-17477 ; cf notre article Société en formation et reprise des actes

[11] Civ.1ère, 03/12/1980, n°79-12619

[12] Com., 22/05/1991, n°90-12217. A noter une exception notable en matière de chèque (L.131-4 alinéa 2 du code monétaire et financier)

[13] Com., 14/01/1992, n°90-12825 ; Cf par exemple Com., 03/04/1973, n°71-13527 (paiement de lettre de change) et Civ.1ère, 09/07/2014, n°13-20356 (remboursement d’emprunt).

A charge pour celui(ceux)-ci, en cas de non-reprise de l’acte, de se retourner contre la société immatriculée si celle-ci a effectivement bénéficié de l’acte litigieux.

[14] Com., 02/05/2007, n°05-14071

[15] Com., 10/02/2021, n°19-10006

[16] Cf Com, 29/11/2023, n°22-12865, n°22-18295 et n°22-21623

[17] Com., 27/10/1980, n°79-11232

[18] Com., 02/05/2007, n°05-14071

[19] Com., 13/11/2013, n°12-26158

[20] Com., 18/11/2020, n°18-23239

[21] Com., 15/05/2012, n°11-16069

[22] Com., 19/01/2022, n°20-13719

[23] Soit que le signataire de l’acte souhaite se délier de tout engagement soit que le cocontractant souhaite agir contre le signataire de l’acte, plus solvable.

[24] n°22-12865, n°22-18295 et n°22-21623

[25] Com, 29/11/2023, n°22-12865

[26] Com, 29/11/2023, n°22-18295

[27] A noter également que dans la première de ces deux espèces (Com, 29/11/2023, n°22-12865), la Cour de cassation précise, au visa des articles L210-6 et R210-6 du code de commerce, que « la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l’acte litigieux » (en l’espèce, SARL vs SAS, associé personne physique vs associé personne morale).

[28] Com, 29/11/2023, n°22-21623

[29] Com., 09/10/2024, n°23-12401

[30] Civ.3ème, 17/10/2024, n° 22-21616

[31] Com, 06/11/2024, n°23-20089

[32] Notice au rapport annuel  ; cf notre article Société en formation et reprise des actes