Voici une illustration récente des sanctions encourues en cas de commandes partiellement honorées.
• Deux entreprises ont conclu en 2011 un contrat de distribution exclusive.
Reprochant au fournisseur de ne pas exécuter pleinement les commandes qu’il lui avait passées et payées, le distributeur l’a assigné en justice aux fins de résolution du contrat à ses torts exclusifs et de paiement de dommages et intérêts. A titre reconventionnel, le fournisseur a sollicité l’octroi de dommages et intérêts au titre de son préjudice commercial tiré du non-respect par le distributeur de l’obligation d’achat d’un minimum annuel de marchandises.
La Cour d’appel de Dijon, par arrêt en date du 13 avril 2017, a, notamment, jugé la résiliation du contrat de distribution exclusive imputable au fournisseur et rejeté la demande de dommages et intérêts de celui-ci au titre de son préjudice commercial.
Le fournisseur a formé un pourvoi en cassation.
Pour ce qui nous intéresse, deux obligations étaient en cause : la violation par le fournisseur de son obligation de délivrance conforme des marchandises commandées et payées ainsi que la violation par le distributeur de l’obligation d’achat d’un minimum annuel de marchandises.
La Cour de cassation a statué par arrêt en date du 25 septembre 2019 (n°17-22035).
Quant à la violation par le fournisseur de l’obligation de délivrance conforme (à savoir le défaut partiel de livraison des marchandises commandées et réglées), la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel aux motifs que le fournisseur « n’avait pas été en mesure d’assurer la fabrication et la livraison de 12 % des marchandises qui lui avaient été payées, sans invoquer la force majeure[1], et que cela ne pouvait que mettre son cocontractant en difficulté vis-à-vis de ses clients ». Elle en déduit que « la cour d’appel qui (…) a souverainement retenu que le manquement [du fournisseur] à son obligation de délivrance revêtait une importance telle que la demande de résolution était fondée, a légalement justifié sa décision ».
Quant à la violation par le distributeur de l’obligation d’achat d’un minimum annuel de marchandises (dont on sait qu’il s’agit d’une obligation de résultat), la Cour de cassation se retranche derrière l’appréciation souveraine des juges du fond qui avaient estimé, en substance, que le distributeur avait tôt alerté le fournisseur des difficultés auxquelles il était confronté (compte tenu notamment d’un chiffre d’affaires insuffisant et en net recul, d’un marché se rétrécissant ainsi que des retards de livraison) et que le fournisseur n’avait pas mis en demeure le distributeur d’avoir à respecter le minimum d’achats annuels « ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où il n’était pas en mesure d’assurer la livraison des marchandises d’ores et déjà commandées ».
L’arrêt a été rendu sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des obligations (Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ratifiée par la loi n°2018-287 du 20 avril 2018). Il illustre tant le pouvoir des juges du fond en matière de résolution judiciaire des contrats que le flottement terminologique y afférent.
• L’ancien article 1184 du Code civil prévoit que :
« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »
En application de cet article, la résolution des contrats synallagmatiques (sauf exceptions) peut être prononcée par le juge en cas d’inexécution imputable au débiteur (donc hors force majeure), totale ou partielle, mais en tout état de cause suffisamment grave. Le caractère de gravité de l’inexécution est apprécié différemment selon l’obligation en cause (essentielle, accessoire, réparation possible par octroi de dommages et intérêts…) et souverainement par les juges du fond. Le juge saisi peut prononcer, ou non, une telle résolution (totale ou partielle/avec ou sans dommages et intérêts), ordonner l’exécution du contrat (avec ou sans délai de grâce) ou encore allouer des dommages et intérêts.
Ces solutions ont été reprises par la réforme du droit des obligations issue de l’ordonnance du 10 février 2016 (articles 1227 et 1228 du Code civil), celle-ci ayant en outre prévu la possibilité de réduire le prix en cas d’inexécution imparfaite (article 1223 du Code civil).
• Par ailleurs, l’arrêt met, une fois de plus en exergue le flottement terminologique pouvant exister entre résolution et résiliation. Il semble en effet que la Cour d’appel ait prononcé la résiliation du contrat, la Cour de cassation affirmant toutefois que la demande de résolution émanant du distributeur était fondée.
L’on sait que la différence entre les deux notions consiste théoriquement en la rétroactivité de la résolution[2] et non de la résiliation[3]. Si la rétroactivité ne pose guère de problème majeur pour les contrats à exécution instantanée[4], elle suscite à l’inverse des difficultés de mise en œuvre pour les contrats qui s’exécutent dans le temps, de manière continue (contrats à exécution successive[5]) ou échelonnée (contrats à exécution échelonnée).
En cas de contrat à exécution successive, la résolution est privilégiée en cas d’inexécution ab initio (c’est-à-dire lorsque le contrat n’a jamais été exécuté) et la résiliation est privilégiée en cas d’inexécution survenue en cours d’exécution (c’est-à-dire quand le contrat a reçu une exécution partielle ; la résiliation produit alors ses effets à compter de l’inexécution)[6]. En cas de contrat à exécution échelonnée, la Cour de cassation a jugé que « la résolution pour inexécution partielle atteint l’ensemble du contrat ou certaines de ses tranches seulement, suivant que les parties ont voulu faire un marché indivisible ou fractionné en une série de contrats »[7].
Face à ces atermoiements terminologiques et aux critiques qu’ils ont pu susciter, la réforme du droit des obligations est venue préciser que la résolution, qui met fin au contrat, prend effet, en cas de résolution judiciaire, à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice. Elle a également posé une nouvelle dichotomie des contrats selon que les prestations échangées trouvent leur utilité par l’exécution complète du contrat (restitution intégrale) ou au fur et à mesure de son exécution réciproque (restitution à compter du jour de l’inexécution). L’article 1229 du Code civil prévoit ainsi que : « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. »[8].
• On rappellera, pour finir, qu’outre la résolution judiciaire ou conventionnelle (en présence d’une clause résolutoire), la gravité du comportement d’une partie à un contrat, à durée déterminée ou indéterminée, peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls[9].
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[1] Les marchandises commandées étaient fabriquées en Thaïlande, frappée par de graves inondations ayant causé la destruction de la plupart des moules servant à leur fabrication.
[2] Et les restitutions qu’elle peut entraîner. A l’égard des tiers, la rétroactivité de la résolution peut être tempérée de différentes façons (par exemple, pour les actes d’administration ou, en matière mobilière, par le jeu de l’ancien article 2279/nouvel article 2276 du Code civil prévoyant qu’« En fait de meubles, la possession vaut titre. »).
[3] A noter que la résolution du contrat, même rétroactive, laisse néanmoins subsister certaines clauses, et notamment celles tendant au règlement des différends nés du contrat, à l’instar des clauses attributives de juridiction ou encore des clauses pénales. Le nouvel article 1230 du Code civil, dans sa rédaction issue de la réforme du droit des obligations, prévoit expressément que « la résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence ».
[4] Traditionnellement, le contrat à exécution instantanée était celui qui s’exécutait en un trait de temps. L’article 1111-1 alinéa 1er du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations, pose désormais expressément que « le contrat à exécution instantanée est celui dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique. ». Il semble que les deux définitions ne se recoupent pas complètement.
[5] L’article 1111-1 alinéa 2 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations, définit désormais le contrat à exécution successive comme le contrat « dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps. ».
[6] Civ.3ème, 30 avril 2003, n°01-14890
[7] Civ.1ère, 3 novembre 1983, n°82-14003
[8] Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations précise à ce sujet que « L’ordonnance abandonne donc la fiction juridique de la rétroactivité traditionnellement attachée à la résolution par la doctrine et la jurisprudence, dans la mesure où la rétroactivité a en principe pour effet d’engendrer des restitutions. (…) La résiliation est donc simplement un cas déterminé de résolution aux contours clairement délimités par le texte, applicable tant aux contrats instantanés qu’aux contrats à exécution successive, et se caractérisant par son absence de restitution. ».
[9] Aux termes de la jurisprudence (Civ.1ère, 13 octobre 1998, n°96-21485 et 20 février 2001, n°99-15170) et désormais de l’article 1226 du Code civil (qui prévoit des modalités particulières de forme)